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Mémoire de Francois de Plantade,
lu devant la Société Royale des Sciences de Montpellier,
le 27 février 1732.

 



Page de titre du volume contenant le mémoire de F. de Plantade lu devant l'Académie des Sciences de Montpellier le 27 février 1732.
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Note: dans le mémoire retranscrit ci-dessous, la typographie et l'orthographe originales ont été intégralement respectées.

 

 

M. de Plantade lut enſuite un Mémoire, qui contient de nouvelles Expériences ſur la Peſanteur de l'Air : il les a faites pour la plûpart, ſur les Pyrénées , ou la ſuite de ſes opérations Géographiques l'avoit conduit.
Il y raporte d'abord, ce que les principaux Phyſiciens ont penſé de la Peſanteur de l'Air : il montre par ſes propres expériences , que l'Hypothéſe de M. Mariote eſt inſuffiſante à cet égard. Il ajoûte qu'au deſſous de 1000. Toiſes de hauteur, il a trouvé beaucoup d'irrégularité dans la ſuſpenſion du Vif-Argent, dans les Tuyaux de different diamétre; car il en mettoit ordinairement trois ou quatre en expérience, dont le plus large avoit quatre Lignes de diamétre intérieur, & le plus étroit deux Lignes : il a eû par là occaſion d'obſerver, que le Vif-Argent s'eſt toûjours tenu plus bas dans les Tuyaux les plus étroits , que dans les plus larges ; ce qui eſt arrivé conſtament ſur ſeize Montagnes differentes , quelques précautions qu'il ait priſes . Il y a plus , cette Inégalité, qui a toûjours été moindre, à meſure que les Lieux ont été plus hauts , a enfin entiérement ceſſé un peu au-deſſous de 1000. Toiſes , ſur une Montagne appelée Ortiſet, dont la hauteur perpendiculaire au-deſſus du Niveau de la Mer, eſt, ſelon les Dimenſions de M. Plantade, de 992. Toiſes : c'eſt le premier Endroit où le Vif-Argent ſe mit préciſément au même Niveau dans tous les Tubes ; il s'y eſt tenu de même ſur les autres Montagnes plus hautes que celle-là: Trois Expériences faites ſur autant de Montagnes plus élevées , le confirment. M. Plantade en a ſupprimé pluſieurs autres , pour ne pas rendre ſon Mémoire trop long; & il a eû ſoin, en raportant celles-ci, de marquer quelle étoit la Conſtitution de l'Air, l'Elevation du Vif-Argent, & la Hauteur de ces Montagnes ; cela eſt neceſſaire pour Ceux qui en voudront faire la Comparaiſon avec des Obſervations correſpondantes: Voici ces Expériences .
Le 25. du mois d'Août de l'année derniere, M. Plantade s'étant trouvé ſur la Pointe la plus Occidentale de St. Barthelemi, par un tems très-ſerein, mais des plus froids , enſorte que trois Etangs qui ſont vers le haut de la Montagne, étoient entiérement gelez, & toute la Montagne couverte de Verglas , il mit à midi trois Tubes en experience; le Vif-Argent décendit dans tous les trois à 21. Pouce: cette Montagne eſt élevée de 1190. Toiſes au-deſſus du Niveau de la Mer, ainſi qu'il l'a trouvé Géométriquement.
Le 18. du même mois d'Août, étant ſur la pointe la plus Orientale de la Montagne du Mouſſet, où il avoit fait élever un ſignal pour ſes Opérations , le Vent étant à l'Oueſt aſſez fort, & le tems embrumé, après un grand Orage, il mit à une heure après-midi, le mêmes Tubes en experience; le Vif-Argent y demeura ſuſpendu à 20. Pouces 10. Lignes 4/5 il trouve par ſon Calcul, que cette Montagne eſt élevée de 1289. Toiſes au-deſſus de la Mer.
Enfin, le 4e du mois d'Août, ſur le Pic du Canigou, et à la Pointe de la Pyramide qui y fut élevée par ordre du feu Roi, pour les Opérations de la Meridiéne de l'Obſervatoire Royal, il mit à dix heures du matin, les mêmes Tubes en experience; il faiſoit alors beaucoup de froid, le Vent était au Nord foible: dans tous les Tuyaux, le Vif-Argent décendit à 20. Pouces 2. Lignes & demi. En comparant cette Obſervation à celle qui fut faite le matin du même jour à l'Obſervatoire Royal par M. Caſſini, on a 8. Pouces 2. Lignes de diminution du Vif-Argent, pour 1454. Toiſes dont M. Plantade a trouvé, par pluſieurs Opérations réitérées et Géométriques , que la Pointe du Canigou avoit de hauteur perpendiculaire au-deſſus de Niveau de la Mer, à quelques Toiſes près , la même que celle qui a été trouvée par Mrs . Caſſini & Maraldi; ce qui eſt une grande preuve de la Juſteſſe dans des Opérations ſi délicates . Il expoſa en même-tems à l'Air, un Thermométre à groſſe Boule, d'une Marche très-ſenſible, & un autre Thermométre de M. Amontons : le Thermométre à groſſe Boule décendit à 20. Pouces 4. Lignes & demi, & celui de M. Amontons , à 9. Pouces 6. Lignes .
C'eſt la plus haute Montagne où M. Plantade ait obſervé. Il a appris depuis , que M. Jean-Jacques Scheuchzer Profeſſeur de Mathématiques à Zurich, Membre de l'Académie Impériale Caroline, & des ſocietez Royales d'Angleterre & de Pruſſe, avoit fait de pareilles Experiences ſur les Alpes: il a été curieux de voir ſon Livre, qui contient des Obſervations du Barométre faites ſur le Mont St. Gothard, pendant les cinq derniers mois de l'année 1728. par M. Scheuchzer lui-même, ou qu'il y a fait continuer par des Religieux Capucins qui y habitent.
De la manière dont ſe ſçavant Suiſſe y parle de cette Montagne, on pourroit juger qu'elle eſt d'une hauteur exceſſive; car, non-ſeulement il la compare à l'Olympe, où les Anciens ont feint que regnoit une parfaite Tranquilité, & il s'y dépeint comme un Philoſoſphe, qui contemple de là, tout ce qui ſe paſſe dans le monde Moral & Phyſique, mais il la nomme encore la Borne des Vents & des Tempêtes , & l'appelle formellement, Summus Europae Apex, le plus haut Sommet de l'Europe, dont la hauteur perpendiculaire mériteroit d'être preciſément déterminée, ſi la maniere de la meſurer Géométriquement ne demandoit, dit-il, des Travaux d'Hercule, & des Dépenſes de Grands Princes , que perſonne par là, n'eſt en droit d'exiger ni d'attendre du Corps Helvetique; ainſi, il y ſubſtitue des Methodes plus faciles , mais qu'il ne croit pas moins certaines , telles que les Obſervations du Barométre. Il donne après cela ſes Obſervations , où l'on voit que le Vif-Argent n'a jamais été au-deſſous de 21. Pouces ſur le Mont St. Gothard, au lieu que ſur le Canigou il a baiſſé juſqu'à 20. Pouces 2. Lignes & demi, qui font 9. Lignes & demi de difference, qui en donnent une très-grande en hauteur. M. Plantade conclut de là, & de ſes autres Opérations , que s'il eſt vrai que le Mont St. Gothard eſt le plus haut des Alpes , comme M. Scheuchzer l'aſſure, non-ſeulement le Canigou ſera de beaucoup plus haut que cette Montagne, mais encore le Mont de St. Barthelemi, du Mouſſet, & quelques autres , ſeront plus hauts que le même Mont St. Gothard; & en général, que les Pyrénées ſont beaucoup plus élevées que les Alpes , contre ce qu'on avoit crû juſqu'à preſent, & ce que les Anciens ont voulu établir. M. Plantade, qui a fait des Obſervations du Barométre ſur plus de vingt Montagnes differentes , tâchera dans un autre Memoire, d'établir des Régles , pour connoître, la hauteur de l'Air & des Lieux où l'on en fera de ſemblables .
Il a même cherché, en faiſant les ſiénes , à s'éclaircir quelle devroit être la longueur des Pendules à ces grandes Hauteurs ; parceque, ſelon lui, la même cauſe influë auſſi ſur la Peſanteur de l'Air : mais , l'incommodité des lieux & du tems , l'on toûjours empêché de ſuivre cette Experience juſqu'au bout, lorſqu'il a voulu l'entreprendre.
Il ajoûte à tout cela quelques Remarques Phyſiques , ſur la nature de l'Air, & ſur la conſtitution des Montagnes , qui non-ſeulement ſont curieuſes , mais qui ſervent à détruire certains Préjugez aſſez établis: car, ſur ce que M. Mariote a avancé que ſi on mettoit de l'Eau dans les lieux où l'Air fût ſeulement au double plus rarefié qu'au bord de la Mer, elle y bouilliroit, & que les Hommes & les Animaux n'y pourroient plus vivre parceque leur Corps n'étant plus preſſé que par le poids de la moitié de l'Atmoſphére, l'Air contenu dans les Vaiſſeaux s'échapperoit à travers les Pores , & troubleroit ainſi toute l'oeconomie naturelle, M. Plantade a reconnu et éprouvé par lui même combien tout cela eſt faux; car, ſur le Pic du Canigou, qui a trois-quarts de lieuë de hauteur perpendiculaire, où l'Air eſt beaucoup au-delà du double plus dilaté qu'ici bas , & où il fut obligé de paſſer une nuit & un jour entier en plein Air, il n'y reſſentit pourtant aucune incommodité; il ne s'apperçut pas non-plus que l'Eau bouillit dans les Vaſes dans leſquels on l'avoit apportée, mais elle y étoit fort tranquile.
Il eſt vrai cependant , qu'on ſent de tems en tems à ces grandes Hauteurs , de petites défaillances , qui s'arrêtent ſur le champ, en prenant un peu de nourriture; mais on pourroit les ſuporter aſſez long-tems ſans danger, comme il en a fait lui-même l'experience.
Au ſurplus , bien loin qu'il ſoit neceſſaire, pour pouvoir reſpirer à ces grandes Hauteurs , comme pluſieurs Autheurs l'aſſurent, de porter au Nez & à la Bouche, des Eponges ou des Linges trempez dans des Liqueurs ſpiritueuſes , rien au contraire n'eſt ſi nuiſible en ces endroits-là, que l'uſage de ces Liqueurs , même en très-petite quantité, ainſi qu'il l'a éprouvé lui-même.
M. Plantade penſe auſſi que le Froid n'y eſt ſi grand, que parceque les rayons du ſoleil venant à fraper directement le ſommet des Montagnes , n'y rencontrent d'autre Corps qui les refléchiſſent irrégulierement, comme dans les Valées , ce qui ſert à augmenter la Chaleur : d'ailleurs , les Exhalaiſons qui ſortent de la Terre, qui ſont fort groſſieres , & qui conſervent par là long-tems leur Chaleur quand le ſoleil les a échaufées , ne s'élevent pas ſi haut, à cauſe de leur Peſanteur; ainſi l'Air y étant fort dilaté, & ſes Parties fort déliées , elles perdent bientôt leur mouvement & leur chaleur, & ne font ainſi qu'une foible impreſſion ſur les Corps et ſur les Thermométres .
Et pour prouver que ces Parties groſſieres ſalines & corroſives , qui ſont autant de Diſſolvants des Corps , ne s'élevent pas à cette hauteur, il fait une Remarque très-ſimple, mais qui par là , n'en paroit que plus vraye & plus naturelle : c'eſt qu'une groſſe Croix de fer, qui eſt au milieu de la Pyramide qui termine le Canigou , & qui fut élevée en 1700. il y a 32. ans , par ordre du feu Roi, pour les Opérations de la Meridiéne, n'eſt nullement rouillée ; ce qui prouve encore, que les Neiges dont ce Sommet eſt couvert preſque toute l'année , n'ont point de faculté corroſive.
Mais , ce qui confirme encore cela, c'eſt qu'il ne s'eſt jamais apperçû que les Brouillards , dont il étoit quelque fois tout mouillé, & où il demeuroit envelopé des journées entieres , euſſent aucune mauvaiſe odeur, comme il arrive ſouvent ici bas , ni aucune qualité malfaiſante.
Il dit même , que la maniere dont il ſe forment ſemble échaper à toute Explication Phyſique, car il les a ſouvent vûs s'élever ſubitement à ſes pieds , comme une petite fumée, ſans aucune cauſe apparente, dans les lieux les plus ſecs , & par le tems le plus ſerein, & ſe répandre de tous côtez avec une rapidité ſurprenante, tandis qu'il voyoit en même-tems , à une grande Profondeur au-deſſous de lui, les Vapeurs condenſées en Nuages , ſe mouvoir lentement comme les Vagues d'une Mer toute Blanche qui couvroit tout l'Horizon, & du milieu de laquelle le ſommet des Montagnes s'élevoit comme autant d'Iſles .
Il ajoûte, que le peu de Chaleur qu'il fait ſur ces Montagnes , eſt cauſe que la plûpart des Fleurs qui y naiſſent, n'ont que des Couleurs foibles , comme les Premieres qui viénent au Printems , quand l'Air n'eſt point encore aſſez échaufé ; s'il y en a quelques-unes de jaunes ou de rouges , comme des Roſes , des Oeillets , des Tulipes , des Renoncules des Anemones , &c. car il y a de toutes ces Fleurs , ce ſont de Couleurs pâles & languiſſantes : on en trouve même moins , à meſure que les Montagnes; ſont plus élevées ; de ſorte que le Haut du Canigou eſt tout-à-fait ſterile , à peine y trouve-t'on quelque brin d'Herbe , entre un amas prodigieux de Rochers briſez & entaſſez les uns ſur les autres , que le tems & les Neiges ont minez.
Il a même examiné les Lits des Rochers qui compoſent ces diverſes Montagnes ; il n'y en a preſque point d'Horizontaux , mais beaucoup de Verticaux, & d'Inclinez à toute ſorte d'Angle; ce qui ſemble être la ſuite de quelque Déplacement ou de quelque Dérangement extraordinaire , arrivé ſur la ſurface du Globe Terreſtre.
Quant à la nature de ces Rochers , ſur tout de ceux du Canigou , ils ſont formez d'une Pierre froide , où l'on trouve le Talc par feuilles , quelque fois pur, quelque fois mêmé avec quelque Mineral , qui le colore diverſement ; quand le ſoleil y donne deſſus , elles brillent comme de l'Or & de l'Argent: ce qui fait que bien de Gens les prénent pour des Indices de ce Métal, dont il y a effectivement des Mines dans ces Montagnes .
Il a même été curieux d'examiner , s'il n'y auroit point de Coquillage parmi les Rochers de ces differentes Montagnes des Pyrénées , comme on aſſure qu'il y en a dans les Alpes , où l'on voit encore des Poiſſons pétrifiez ; mais il n'en a trouvé aucun Veſtige, pas même dans les Endroits où il ſembloit plus naturellement qu'il y en devoit avoir , comme dans les Lacs & les Etangs qui ſont ſur quelques-unes de ces Montagnes , tels que ceux de St. Barthelemi & du Canigou, &c. où il a reconnu la fauſſeté de ce que l'on publie ordinairement, qu'en jettant quelque Pierre , ou quelqu'autre choſe dans ces Lacs , il s'en éleve auſſitôt des Orages & des Tempêtes .
M. Plantade finit enfin par une Remarque qui pourra ſervir à détromper ceux qui, ſur la foi des Voyageurs , même fort accreditez, croyent qu'il y a dans le Nord & dans les Païs froids , de la Neige de diverſes Couleurs , Rouge, Bleuë ou Verte, ce que pluſieurs Sçavans ont tâché d'expliquer ; car, en arrivant au Haut du Canigou, il apperçut à une grande Profondeur au-deſſous de lui, une Etenduë conſiderable de Neige, qui lui parut d'un beau Vert Celadon : Etant décendu le lendemain dans le même Endroit, il vit que c'étoit une eſpéce d'Etang, où l'Eau ſurnageoit de quelque peu la Neige, qui étoit peut-être là depuis pluſieurs ſiécles , & qui vûë d'un peu loin, & à travers d'un peu d'Eau, faiſoit cette apparence ; an ayant pris une Piéce, elle lui parut auſſi blanche que celle qui étoit au-dehors : il a vû auſſi de la Neige Rougeatre, & d'autre d'un Gris tirant ſur le Bleu, mais c'étoit dans des Endroits où des Ravines avoient entrainé des terres de cette Couleur ; peut-être les Neiges du Nord , examinées de même, ne ſeront-elles que blanches .


Page mise à jour le 01/03/2007.